Comment les Américains ont gagné la guerre du Vietnam
par Susanne Haussmann (Résidente à Hô Chi Minh-Ville, Vietnam)
Ceux d’entre nous qui ont au moins une quarantaine d’années se souviennent du 30 avril 1975. Ce jour là, les télévisions du monde entier retransmettaient les images des dernières évacuations de personnel par hélicoptère de l’ambassade américaine de Saïgon. Après avoir tué plus de trois millions de Vietnamiens, les États-Unis étaient finalement boutés hors d’un pays qui, après 25 ans de guerre, allait enfin être réunifié.
Les Vietnamiens viennent de fêter à la fois le cinquantième anniversaire de la victoire de Dien Bien Phu et le 29e anniversaire de la prise de Saïgon par les troupes nord-vietnamiennes. Les Français eux aussi furent battus, mais ils laissèrent derrière eux des bâtiments, des routes, des installations portuaires et autres infrastructures. Le nombre de morts vietnamiens dans la guerre d’indépendance contre les Français n’atteignit guère plus de 15% de ceux causés par la guerre suivante. Les Américains laissèrent derrière eux des millions d’infirmes intoxiqués par l’agent orange, déformés, mutilés ou intellectuellement déficients et à jamais dans l’incapacité de procréer. Après près de trente ans, des forêts entières apparaissent encore dévastées par les bombardements, les défoliants et le napalm.
Quel était le motif de l’intervention américaine au Vietnam ? Barrer la route au communisme ? Éviter que la théorie des dominos ne se réalise ?
Apporter bien sûr un monde meilleur aux Vietnamiens, peut-être offrir l’ « American way of life » à tout le sud-est asiatique ! Avec le recul, ces objectifs semblent d’autant plus absurdes que le communisme vietnamien n’est plus qu’une coquille vide. On peut, tout aussi bien qu’aux États-Unis d’ailleurs, mourir à l’hôpital faute de soins d’urgences après un accident si l’on ne peut pas prouver qu’on est solvable. Tout comme aux États-Unis, il faut payer pour faire de bonnes études et le gouvernement ne se soucie guère des chômeurs non plus même si, aux États-Unis, on leur verse une allocation, allocation qui les empêche juste de mourir de faim et qui, de toutes façons, ne dure que quelques mois. Tout comme aux États-Unis, on trouve au Vietnam le mépris de l’homme et, en pire, l’exploitation des travailleurs que l’on retrouve quelquefois sur les chantiers de construction à 11h du soir et pour lesquels, souvent, l’équivalent du dimanche n’existe même pas ! Les préceptes communistes ne servent plus qu’à justifier les privilèges d’une caste dirigeante qui parle désormais en termes d’investissements, de rentabilité, de productivité et cela, bien sûr, dans une perspective d’enrichissement personnel. Le mot d’ordre n’est plus de vivre honnêtement de son travail, encore moins de se soucier de son prochain, mais de gagner de l’argent par tous les moyens, et vite !
29 ans après la libération de Saïgon, la présence physique américaine au Vietnam est discrète mais point n’est besoin d’être américain pour être salué par un « hello » à chaque coin de rue. C’est toute la société qui, des plus petits enfants aux quinquagénaires s’efforce désormais d’utiliser la langue de ceux qui n’ont laissé derrière eux que destructions, morts et infirmes. C’est tout le monde qui, du simple vendeur ambulant jusqu’aux boutiques de joaillerie, s’empresse d’accepter la monnaie de l’ancien ennemi, sans commission de change. Ce sont les États-Unis qui sont devenus la destination de choix des lauréats des meilleures écoles d’ingénieurs et des meilleures facultés de sciences. Ce sont les universités américaines qui représentent la consécration ultime. Ce sont les diplômes américains que l’on convoite, et ce n’est que par manque de moyens que l’on se résigne, à défaut, à partir en France, en Australie, en Angleterre, au Canada ou en Allemagne pour y faire des études supérieures.
Aujourd’hui, l’Américain Lambda qui se promène dans les rues de Hô Chi Minh-Ville, de Danang, de Hué ou de Hanoï peut facilement avoir l’impression qu’il est en pays conquis. Avant même qu’il ne songe à le faire, il est invité à s’exprimer dans sa langue, d’ailleurs omniprésente dans les restaurants et les lieux touristiques et ses dollars sont acceptés partout et préférés à la devise locale. Mais ce n’est pas en faisant du tourisme que l’on prend le mieux conscience de la colonisation des esprits. Si les Vietnamiens parlent anglais, ce n’est pas simplement dans le but de mieux accueillir les touristes qui viennent au Vietnam pour y dépenser leur argent. C’est surtout pour émuler un certain type de comportement qui leur donne l’impression d’être modernes. C’est dans les entreprises privées qui prétendent faire de la « haute technologie » et, surtout, dans les écoles et les universités du pays que l’on se rend compte que la conquête américaine des esprits est totale. Ici, à Hô Chi Minh-Ville, une nouvelle école d’anglais ouvre ses portes tous les quinze jours et les gens acceptent de dépenser des fortunes, relativement à leurs revenus, pour envoyer leur progéniture dans ces écoles, même si la plus grande majorité d’entre eux ne quittera jamais le pays. Même si on ne le nomme pas explicitement, c’est le modèle américain de développement économique et humain, tout au moins dans l’interprétation qu’en font les Vietnamiens, qui se substitue à tous les autres dès qu’on évoque l’avenir.
En cela, le Vietnam ne diffère pas d’un certain nombre de pays européens et asiatiques. Ce qui est différent au Vietnam, c’est que peu de pays ont autant souffert de la tentative américaine de lui imposer effectivement un système politico-socio-économique dont le Vietnam ne voulait pas à l’époque, mais qui semble aujourd’hui librement accepté ! Aucun peuple, à l’exception des Irakiens depuis l’année dernière, n’a pu voir aussi bien les moyens mis en œuvre pour diffuser la « démocratie américaine » et n’a payé un prix aussi exorbitant pour avoir eu le privilège d’identifier aussi clairement ses buts.
À la veille de l’intervention américaine en Irak, Donald Rumsfeld déclarait : «Tous les Irakiens veulent devenir américains !» et que les Américains seraient accueillis par les Irakiens en libérateurs. Si nous savons un an après que M. Rumsfeld était un peu trop optimiste, il semblerait néanmoins que l’on puisse désormais substituer «Irakiens» par «aVietnamiens » pour remplacer un mensonge par une vérité !
Les Américains voulaient délivrer le Vietnam mais le délivrer de qui ? Des Vietnamiens eux-mêmes ? On attribue à James Baker, ancien secrétaire au Trésor américain, les commentaires suivants sur la seconde guerre mondiale :
«Les véritables enjeux de l’entrée en guerre des États-Unis étaient économiques. Nous sommes allés en Europe et en Extrême-Orient car, en cas de victoire ennemie, notre présence sur ces marchés potentiels aurait été mise à la portion congrue. Bien entendu, nous avons dû justifier notre intervention auprès du peuple avec des grands principes altruistes et démocratiques et nous faire passer pour des libérateurs car nos gens ne nous auraient jamais suivis si on leur avait donné les véritables raisons pour s’impliquer dans ce conflit.» La victoire permit effectivement aux États-Unis de faire de l’Allemagne et du Japon leur véritable « pré carré », et d’y exercer une influence considérable, économiquement et politiquement, jusqu’à aujourd’hui. Ces pays ont permis aux États-Unis, à partir des années 70, de commencer à vivre aux dépens du reste du monde en important aujourd’hui près de 10% de plus qu’ils ne produisent par le recyclage des dollars que le Japon, l’Allemagne, et bien d’autres pays aujourd’hui, acceptent de renvoyer aux États-Unis pour acheter des titres de dette. La victoire américaine à l’issue de la seconde guerre mondiale leur a permis, trente ans plus tard, de substituer l’étalon dollar à l’étalon or. Par le mécanisme des eurodollars dans un premier temps et par le creusement de la dette qu’ils ont persuadé le reste du monde de financer dans un deuxième temps, ils ont pu ainsi attirer 80% de l’épargne mondiale aux États-Unis et faire donc en sorte que le dollar conserve sa valeur en dispersant le risque intrinsèque qu’il représente à l’échelle mondiale.
De la même manière, en prenant des mesures qui imposaient l’usage de l’anglais dans le monde des sciences et des techniques, ils ont pu exercer un monopole de fait sur l’édition et la production scientifique. En exigeant l’anglais dans toutes leurs communications avec l’extérieur et au sein des grandes organisations internationales, ils ont pu garder une position structurellement privilégiée dans toute négociation internationale de nature politique et commerciale.
L’examen détaillé des interventions militaires américaines montrent que, dans toutes les situations où ils ont été les vainqueurs (Allemagne, Japon, Corée du Sud), les pays vaincus ou «libérés» ont été immédiatement et durablement mis dans l’orbite économique et culturelle américaine. Suivant l’interprétation américaine et officielle de ce processus, il s’agissait de former avec les ex-vaincus, désormais considérés comme des «partenaires», des associations à bénéfices réciproques et même de s’engager dans une œuvre commune de paix et de prospérité durable. Bien entendu, les réalisations demandaient des moyens et les Étasuniens se sont toujours autoproclamés maîtres d’œuvre des plans politiques et militaires qu’ils concevaient tandis qu’ils exigeaient de leurs « protégés » le financement de leur exécution.
Depuis la fin de l’isolationnisme en 1941, le discours étasunien a énormément insisté sur le besoin de coopération économique, sur l’interdépendance des peuples pour le bénéfice de tous. En vertu de ce discours, nos intérêts sont censés s’imbriquer les uns dans les autres. Refuser cet état de choses serait rétrograde, serait typique de petits esprits sans envergure. À l’inverse, embrasser cet état d’interdépendance est noble et généreux mais aussi rationnel et lucide ! Le discours étasunien encourage le libre-échange comme étant la seule voie à suivre pour atteindre la prospérité. Tout ce qui le freine est censé être une hérésie, une monstruosité entraînant régression et paupérisation.
L’expansion internationale se fit autrefois par le biais des colonies, qui présentaient un ancrage de stabilité en situation générale d’instabilité économique à l’échelle mondiale. Les colonies apparaissaient alors comme des zones tampons périphériques, permettant d’absorber plus facilement des fluctuations extérieures éventuelles, sans enrayer la prospérité du centre, c’est-à-dire celle de la puissance colonisatrice. La colonie présentait l’intérêt de jouer le rôle de consommateur et de client pour les manufactures de la métropole. «L’élévation du niveau de vie» de la colonie consistait en fait à développer chez cette dernière des besoins équivalents à ceux existants déjà chez le colonisateur. On suscita donc chez les colonisés à la fois le désir d’acheter les produits manufacturés de la métropole et aussi le désir d’accumuler, par le travail, suffisamment d’argent pour les acheter. Le discours colonial insistait sur la nécessité de changer les mentalités et les esprits de façon à amener des changements durables de comportement. Le discours colonial justifiait l’existence du couple colonisateur/colonisé par une association à bénéfices «réciproques», mais c’était un discours qui se voulait raisonnable et rationnel. Le bien commun était en principe recherché ainsi que le «progrès». Lorsque la «décolonisation» fut envisagée, il devint impératif de pérenniser les structures de la colonisation. Qu’importait, en effet, que les colonisés «prennent en main leur propre destinée» s’ils le faisaient dans l’esprit du colonisateur, dans le cadre de structures qui avaient été prévues à l’avance et qui maintiendraient les avantages de ces derniers, même s’ils n’étaient plus physiquement présents ? Les apparences et les étiquettes changeraient, mais les bénéfices de la colonisation pour le colonisateur ne changeraient pas. C’est exactement la situation du Vietnam aujourd’hui, comme l’un des pions d’un bien plus vaste ensemble, non plus face à la France, mais aux États-Unis.
À l’issue de la seconde guerre mondiale, les États-Unis n’avaient pas de colonie, à l’exception des Philippines qui accédèrent alors à l’indépendance, mais un ordre néocolonial émergea rapidement dans les pays anciennement ennemis des États-Unis et dans les pays qu’ils avaient prétendument «libérés» comme la Corée du Sud, en même temps qu’il devenait évident que ces pays étaient mis sous tutelle dans leur politique intérieure et extérieure et dans leurs choix socio-économiques. Toutefois, une telle satellisation n’aurait pu perdurer aussi longtemps sans une présence militaire américaine prolongée et, surtout, sans un reformatage profond des esprits faisant apparaître cet ordre des choses comme étant bénéfique aux populations ainsi conquises. Ce nouvel ordre mondial faisait clairement apparaître les États-Unis comme la puissance bienfaisante et salvatrice à l'égard des prétendues menaces d’un empire soviétique avant qu’elles ne se transmutent, vers les années 2000, en celles de fanatiques terroristes pour les besoins de la cause. Dans les faits, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la propagande américaine a toujours diabolisé les pays potentiellement concurrents qui refusaient les règles de ce nouvel ordre mondial et les a désignés comme des parias, à l'égard desquels le droit international ne s’appliquerait pas. C’est ainsi que l’on est passé de la lutte contre «l’empire du mal», incarné par l’Union soviétique, à la lutte contre le «terrorisme» des barbus en keffiehs. Le territoire des «terroristes» dont les repères géographiques sont naturellement beaucoup plus flous que ceux de l’ex-Union soviétique, permet ainsi d’y inclure n’importe quel pays suivant les besoins de la politique étrangère américaine, le concept de «terrorisme» étant par essence beaucoup plus flexible que celui d’un «empire du mal» aux frontières parfaitement définies. Contrairement à ce que l’on croit dans les milieux mal informés, l’abolition des règles du droit international par les États-Unis n’a malheureusement pas débuté avec l’invasion américaine de l’Irak en 2003, ni même avec la guerre du Vietnam dans les années 60 ou la guerre de Corée… Depuis la conquête de leur territoire, l’expansionnisme étasunien s’est appuyé au mieux sur le mensonge et, au pire, sur le génocide…
Depuis 1945, divers mécanismes ont été mis en place à la fois dans les pays vaincus et dans les pays «libérés» par les Américains pour gagner une influence durable sur les esprits. De la publication du journal de Mickey à la collection « Time Life : le monde des sciences » ; des quotas minimaux d’importation sur les films hollywoodiens à la saturation des grilles de programmation des grandes chaînes de télévision par des séries et feuilletons américains ; des journalistes complaisants aux faiseurs d’opinions pro-américaines recevant de généreuses contributions des diverses fondations étasuniennes, on est progressivement passé à la dictature des soi-disant élites anglophiles locales, formées, ou plutôt «converties», aux États-Unis ; aux techniques de gestion à l’américaine et à l’enseignement massif de l’anglais présenté comme le seul espéranto des temps modernes.
Si les autorités vietnamiennes surveillent de près la presse écrite et bloquent l’accès aux sites Internet qui ont pu publier un jour un article critiquant le régime, c’est quand même par dizaines que les chaînes de télévision américaines sont rediffusées par câble partout au Vietnam. Si l’on trouve la RAI, la chaîne allemande DW et TV5 cohabiter avec la NHK et l’Arirang coréenne, c’est dix fois plus de chaînes anglo-américaines qui les accompagnent et qui entreprennent, subrepticement, la reprogrammation des esprits avec la coopération naïve et inconsciente des autorités vietnamiennes !
Vingt ans après la fin de la seconde guerre mondiale, les dispositifs de propagande ou, plutôt, de colonisation mentale, suggéraient déjà que la propagation de l'anglais ne visait pas à remplacer une langue par une autre, mais à imposer de nouvelles structures mentales, «une autre vision du monde». «L'anglais doit devenir la langue dominante» ... « la langue maternelle sera étudiée chronologiquement la première mais ensuite l'anglais, par la vertu de son usage et de ses fonctions, deviendra la langue primordiale ». Un rapport établi par le British Council à ce sujet il y a près de quarante ans est assez révélateur. Il précise aussi que l’anglais doit tendre au monopole dans les domaines culturels, devenir incontournable dans les spécialisations scientifiques et techniques et devenir l’unique langue commune entre des peuples de langues maternelles différentes.
L’intérêt du discours néolibéral actuel, discours dont la dernière version a essentiellement été mise au point par les États-Unis et légèrement modulée par ses centres de rediffusion, réside dans son analogie avec l’ancien discours colonial. En effet, le discours néolibéral et mondialiste insiste explicitement sur l’interdépendance bénéfique des nations, affirme que l’indépendance est contre l’intérêt économique des peuples, condamne ouvertement toute tentative d’émancipation des composantes du système néocolonial comme une régression, qualifie de «raciste» toute tentative d’autarcie, rehausse les droits individuels par rapport aux droits collectifs, souligne le caractère humanitaire des actions entreprises et dénonce la barbarie des régimes situés hors de sa sphère d’influence. Le discours néolibéral d’inspiration étasunienne entreprend, lui aussi, de changer les mentalités sur le long terme et mélange volontiers l’utopie à toute justification rationnelle a priori. Il donne l’apparence d’unanimité à travers des justificatifs qui se situent hors du champ de la critique, falsifie la pensée de ses détracteurs, mobilise les médias pour relayer ses messages et élimine d’une main preste et vigoureuse toute dissension, rappelle les injonctions des «experts» qui tiennent lieu de compétence et de conviction. Tout comme le discours colonial d’avant-guerre, il brandit les droits de l’homme définis selon les critères établis outre-Atlantique, habille la coercition économique de raisons juridiques et techniques et se couvre de la légitimité des instances internationales.
Le discours néolibéral étasunien, abondamment relayé dans tous les pays satellites actuels des États-Unis, tout comme le discours colonial autrefois, multiplie les automatismes verbaux, rabaissant ainsi, insensiblement, mais sûrement, dans toutes les populations qui y sont soumis, le seuil de la critique et de la révolte ouverte à des contraintes imposées et à caractère artificiel. Il déguise les mots et s’invente un langage qui lui est propre. Par le biais de la culture, le néolibéralisme et le mondialisme étasuniens, tout comme le colonialisme d’autrefois, veulent imposer un changement des esprits à long terme, insistent sur la modernité de leurs discours, sur le progrès scientifique, technique et économique. Tout comme dans le discours colonial, celui à qui le néolibéralisme s’impose doit finir par adopter les vues de celui qui le lui impose. Il s’agit de briser la gangue de résistance, qu’elle soit intellectuelle, culturelle ou linguistique en érigeant en idole et en modèle incontesté le système du pays phare d’où rayonne la nouvelle religion. La grande culture qui fait la promotion du néolibéralisme, tout comme celles qui, autrefois, promouvaient le colonialisme, est infiniment supérieure, infiniment plus efficace et moderne et les indigènes, c’est-à-dire les non-Américains, « ne peuvent pas passer des ténèbres de leur infériorité et immobilisme, des nuages de leur civilisation ralentie à la grande lumière de cette grande culture moderne néolibérale étasunienne sans en être éblouisa», que ce soit par sa technique, par sa richesse, par sa puissance armée ou par sa science...
Zbigniew K. Brzezinski, ancien conseiller des administrations Kennedy et Johnson, conseiller en sécurité nationale sous Carter, co-fondateur et premier directeur de la Trilatérale, membre du prestigieux Conseil des relations extérieures (Council on Foreign Relations), a clairement énoncé la stratégie de son pays dans son livre «The Grand Chessboard : American primacy and its geostrategic imperatives» (Le grand échiquier : la suprématie américaine et ses impératifs géostratégiques [1]). L’auteur y explique que les États-Unis doivent établir et garder, par la force s’il le faut, la prééminence planétaire. Les recettes préférées fonctionnent par manœuvre et manipulation et ont pour but d’empêcher l’émergence de nations ou de groupes de nations qui pourraient remettre en question un ordre établi actuel plus que favorable à la nation américaine. Brzezinski énonce NOIR SUR BLANC que les États-Unis doivent tout faire - y compris la guerre traditionnelle bien sûr - pour garder leur prééminence et établir leur loi partout sur la planète.
L'art suprême de la guerre est toutefois d'obtenir la reddition de son ennemi sans combattre. 29 ans après leur défaite militaire et leur départ, les Américains ont une influence telle au Vietnam qu'une victoire ne leur aurait pas plus apporté. Les Vietnamiens n’en sont pas conscients, mais leur état d’esprit est tel que les buts originels que la guerre étasunienne poursuivait jusqu’en 1975 ont enfin été atteints. La victoire militaire des Vietnamiens semble les avoir dispensé d’apprendre, or, seul celui qui est capable de continuer à apprendre reste fort. Dans la mesure où, pour les Vietnamiens, les États-Unis constituent désormais les modèles économique, politique, scientifique et social dominants à suivre, dans la mesure où, en dépit du communisme de façade, ils approuvent pour leur propre usage le nouvel ordre mondial néolibéral d’inspiration étasunienne, dans la mesure où ils se sont mis dans une situation telle que, par l’apprentissage systématique de l’anglais, ils ont restreints leur accès à l’information presque aux seules sources de langue anglaise pour la plus grande partie de leur population, ils ont ainsi pris la place que les États-Unis leur avait réservé depuis longtemps dans le système mondial…
Le Vietnam ne respecte pas les droits d’auteur et pirate allègrement, comme la Chine, films, systèmes d’exploitation informatiques et logiciels d’application. En copiant massivement et illégalement des matériaux audiovisuels qu’ils ne pourraient pas autrement se permettre, les Vietnamiens se sont mis ainsi en situation de dépendance à l'égard du prêt-à-penser qui leur était réservé en même temps qu’ils condamnaient leur propre industrie cinématographique. Tout comme avec une drogue, ils ont développé une assuétude é l'égard de produits de divertissement qui n’ont aucune relation avec leur vision du monde et qui interfèrent négativement avec leur créativité naturelle qui ne pourrait s’exprimer qu’à travers leur propre culture. Par l’utilisation illégale de milliers de logiciels essentiellement américains, ils se condamnent à être des suiveurs et de simples utilisateurs de techniques développées par d’autres et, tôt ou tard, ils finiront par payer une bonne partie de la facture gigantesque que Microsoft est en droit, un jour, de leur présenter. L’industrie informatique vietnamienne demeure embryonnaire et est presque exclusivement tournée vers les marchés occidentaux et japonais qui pilotent tous les projets d’envergure pour remplir des besoins extérieurs au Vietnam. Même si l’on parle beaucoup de développement, peu de volonté existe chez les Vietnamiens pour donner au pays les moyens de s’extraire de sa dépendance croissante en matière technique, culturelle, scientifique et, SURTOUT, informationnelle, même si le pays progresse économiquement. En s’inscrivant dans une logique néolibérale à caractère associatif au sein de l’ASEAN, le Vietnam ligote ses options futures qui seront d’autant plus verrouillées qu’il aura du mal à imaginer autre chose que ce qu’on lui propose.
Les Vietnamiens ne se sont pas rendus compte que la guerre s’est poursuivie, mais sur un autre registre et y sont donc d’autant plus vulnérables. Ils sont maintenant, comme dans de nombreux autres pays, la cible de la guerre étasunienne de l’information qu’ils importent en grande partie eux-mêmes. La propagande communiste vietnamienne perd de sa force. Bien que la Chine soit encore officiellement communiste, tout le monde sait que le parti n’existe encore que pour justifier, comme au Vietnam, la dictature d’une minorité et entretenir une corruption généralisée. Avec l’échec du communisme mondial, plus personne n’est dupe de la doctrine marxiste-léniniste. Quant à la pensée d’Hô Chi Minh, la jeune génération l’ignorerait totalement sans un bourrage de crâne systématique et continu mais qui a de moins en moins d’impact sur sa véritable manière de pensée. Les autorités du pays ont ouvert la porte à la propagande américaine - qu’elles ne savent d’ailleurs plus identifier comme telle - à la doctrine néolibérale néocolonialiste étasunienne, à l’anglais qui reprogramme subrepticement la tête de ses jeunes par les valeurs qu’il véhicule. Hô Chi Minh est devenu juste un ancêtre sympathique qui orne les billets de banque, guère plus.
Les Vietnamiens adoptent des comportements, des attitudes et des raisonnements à partir de critères que leur communauté n'a pas élaborés et auxquels ils n’auraient pas aboutis s'ils avaient gardé leur indépendance d'esprit. Comme dans toute colonisation, c'est d'abord les esprits qu'il faut modifier. L'élimination des effets physiques de la colonisation constitue le dernier stade de la décolonisation qui doit surtout se faire au niveau mental. L’indépendance économique et politique des Vietnamiens dépend pourtant, à terme, de leur indépendance mentale et celle ci est en train de s’amenuiser dangereusement. Cependant, ils ne semblent pas comprendre que la souveraineté n’est, en dernier ressort, rien d’autre que le pouvoir intellectuel, qui leur échappe de plus en plus. Cinquante ans après la fin officielle de la colonisation française, il ne semble pas apparaître sur la scène vietnamienne un nouvel Hô Chi Minh pour appeler à la lutte contre la colonisation de l’imaginaire par les États-Unis…
Aujourd’hui, les Américains sont ravis de dépenser de l’argent qu’ils n’ont pas en consommant ce que, dans une situation saine, ils ne pourraient pas se permettre et les économies asiatiques (surtout Japon et Chine et, à moindre titre, les Européens) semblent prospérer en vendant aux Américains ce qu’ils ne peuvent plus payer et donc en finançant un déficit abyssal. S’il ne s’agit pas de néocolonialisme, comment faudrait-il nommer ce phénomène ? Pourtant, les Vietnamiens brûlent de faire pareil, consécration ultime de leur «développement», de leur «progrès», et de leur entrée dans le monde moderne tel que, désormais, ils le perçoivent à travers les lunettes déformantes qu’on leur a mises devant les yeux !
Politique américaine et anglaise en faveur de l'anglais
Intéressant : Nous sommes mauvais en anglais, nous dit cet article, mais voilà, comme par hasard, que cet article est issu d'une étude réalisée par une entreprise privée, Wall Street Institut...
http://www.francophonie-avenir.com/Archive_politique_anglo-americaine.htm