Papa, maman ! tu te souviens de la terre qu’on allait voler (au « Cercle ») ? ça c’était vivre !
Il n’y avait pas de trottoir le long du square Saint-Vaast. Les rues étaient pavées, et l’herbe y poussait au printemps. Bref, le monde était plus moderne, plus humain (et plus humaniste) et plus équipé que maintenant.
A l’époque il y avait partout des trains, des cars, des hôtels, un service postal sérieux, des églises, des annuaires du téléphone, la radio, la liberté, le respect des gens, la sécurité de l’emploi, et la convivialité ; Et des chiens qui aboient dans la nuit. Et l’Angélus.
(les affirmations apparemment paradoxales sont voulues !)
En fait mon père (qui était pourtant un être conservateur, catholique, « réac », un flamand tout à fait paisible et respectable, et honnête, absolument !) volait aussi dans l'argent de la quête, dont il prenait une partie, ce qui complétait son maigre salaire (17.000 francs de l'époque), et prenait, sans payer, un exemplaire de chaque revue catholique, avant de les disposer dans les présentoirs (et c'est comme ça que je suis devenu si cultivé et au courant de l'actualité et de ses problèmes par la lecture chaque semaine d'une demi-douzaine de revues d'actualités), et aussi dans les (premiers) supermarchés (bien petits encore comparés aux monstres actuels), qui à l'époque n'étaint pas dotés de tout l'arsenal stalino-orwelien actuel, de temps en temps il chipait un paquet de bouillon-cube par ci, autre chose par là; et ne se sentait pas le moins du monde gêné. Ni maman. Ni moi.
Mais à l'époque les gens auraient sans doute souscrit au proverbe de Marjorie Boulton: « Ke knabo ŝtelis prunojn, ne nigrigos la sunon »
De nos jours il aurait été arrêté, menotté, on aurait brisé notre famille, comme il était étranger (belge) il aurait été renvoyé en charter ! On aurait brisé notre famille, j'aurai été envoyé dans un orphelinat, on aurait envoyé des assistantes sociales (il y en avait déjà de cette vermine-là à l'époque) pour essayer de convaincre ma mère de divorcer ! Que sais-je?
Mais de nos jours on est conditionné par le mode de pensée Etatsunien, où tout est « crime » (les EtatsUniens ne connaissent pas la distinction française entre crimes, délits et contraventions, pour eux tout ce qui est illégal est un crime: donner à manger aux pigeons, là où un merdeux de maire à décrété que c'est interdit, c'est un crime, déchirer une affiche c'est un crime, voler une pizza dans un hypermarché (avant la date de péremption ! Après elles sont jetées, mais un employé du supermarché qui en mange une destinée à être jetée est un criminel, et est licencié) parce qu'on a faim, c'est un crime, grimper sur le prunier du voisin pour y cueillir des prunes c'est un crime, refuser de faire caca dans le pot comme on vous l'a demandé c'est … NON ! Ça pas encore ! Mais ça viendra, tuer sa mêre c'est un crime (sauf si elle est atteinte d'une maladie incurable, là c'est une oeuvre louable), tuer son enfant c'est un crime (sauf s'il n'est pas encore sorti de votre ventre, là c'est votre droit, sacré, le plus strict) c'est un crime. Tous ça c'est des « crimes », ah ! Frauder les impôts - quand on est une grande entreprise (attention! pas une petite!) - non ça ça n'est pas un crime ! on va quand-même pas envoyer un cadre sup' en prison se faire regarder le trou du cul par des gardiens cagoulés et pervers ! c'est un acte de saine gestion, et on arrange ça par un accord à l'amiable; ah ! par contre, si il a regardé des photos pornos sur son ordinateur de bureau, là c'est un crime ! Sa vie est « finie »)