L’interdit du tabac n’est pas la dernière des prohibitions que l’on nous prépare.
Il faut se réjouir que la décision soit enfin prise d’interdire de fumer dans tous les lieux publics. Pourront ainsi être punis des individus assez inconscients ou assez cyniques pour s’autoriser à écouter du jazz dans un bar en grillant quelques cigarettes, ou à terminer un bon repas entre amis en accompagnant leur café ou leur cognac d’un cigare.
Cette victoire des forces du Bien sur les forces du Mal sera cependant incomplète, et il faut poursuivre dans cette voie. Ainsi est-il urgent de faire passer une loi interdisant de fumer même dans les rues et dans les parcs des villes, tant il devrait être évident que la fumée du tabac est plus dangereuse que tous les gaz polluants produits par la civilisation de l’automobile. Mais il faudra aussi étendre l’interdit jusqu’aux plus lointaines campagnes, car il y a encore aujourd’hui beaucoup de gens bornés au point de ne pas comprendre que la fumée d’une cigarette représente une menace pour le bien-être de l’humanité et l’équilibre écologique de la planète.
Cependant, ces mesures seront elles aussi insuffisantes : il restera encore des fumeuses et des fumeurs. Que faire de cette race en voie de disparition ? On pourrait proposer de les regrouper dans des espaces séparés où ils seraient observés, surveillés, et peut-être même punis ou rééduqués (cette dernière option serait à débattre en fonction du niveau de tolérance de nos concitoyens). Malheureusement, cette formule risque d’évoquer le camp de concentration auquel reste associé le souvenir des horreurs du nazisme. On peut dès lors craindre qu’elle ne soit pas assez populaire pour pouvoir être adoptée, du moins dans l’immédiat (il serait toutefois possible d’organiser un sondage d’opinion sur ce point afin d’éclairer les décideurs).
Une autre mesure aurait peut-être davantage de chances de s’imposer. Il faudrait que la majorité qui sortira des urnes au printemps prochain, quelle qu’elle soit (c’est une cause nationale), ait le courage de proposer un projet de loi pour étendre l’interdiction de fumer jusque dans ces espaces privés que sont la voiture, l’appartement, les maisons particulières. Cependant, une fois la loi votée, il faudrait aussi que la police puisse vérifier qu’elle est bien respectée en faisant à tout moment irruption, de nuit comme de jour, dans les foyers. Il ne manquerait pas alors de défenseurs attardés des droits de l’homme pour dénoncer dans ces pratiques autant de violations de l’intimité et de la liberté des personnes, quand bien même les forces de l’ordre n’auraient fait que leur devoir en appliquant la loi.
Comme la guerre au terrorisme, la lutte contre le tabac est donc un combat très difficile à mener, et il ne pourra être gagné que si l’on est impitoyable envers
l’ennemi, en l’occurrence ici le fumeur : tolérance zéro. On ne peut dès lors qu’être reconnaissant envers tous ceux, de plus en plus nombreux, qui se mobilisent sans état d’âme pour faire
triompher cette juste cause. Ils veulent notre bien, et militent avec beaucoup de dévouement pour que notre existence soit entièrement sécurisée dans une société dont ils auraient enfin éradiqué
tous les risques. Que la sécurité l’emporte toujours sur la liberté, et ce serait le meilleur des mondes.
En ce qui me concerne et s’il me fallait participer avec mes faibles moyens à cette noble entreprise, je suggérerais à ces amis du Bien une mesure simple et dont la mise en oeuvre ne serait pas
très coûteuse, mais dont la portée symbolique pourrait être considérable : que soient ouverts des cimetières pour fumeurs, le plus loin possible des espaces habités, et des cimetières qui
accueillent les morts normaux. Comme autrefois pour les hérétiques et autres mécréants auxquels était dénié le droit de reposer en terre chrétienne, la stigmatisation des fumeurs vaudrait ainsi
pour l’éternité.
Ils n’auraient que ce qu’ils méritent, et l’on pourrait alors entreprendre un véritable travail de mémoire pour reconsidérer l’admiration que l’on continue à porter
à des délinquants notoires qui ne se sont pas repentis comme Sigmund Freud, Winston Churchill, Jean-Paul Sartre, André Malraux, Humphrey Bogart, Georges Brassens, Hannah Arendt et beaucoup
d’autres. La preuve : on les voit toujours sur les photographies datant d’une époque barbare avec un cigare, une cigarette ou la pipe à la bouche. Il arrive même parfois qu’ils sourient, comme
s’ils nous narguaient ou se moquaient de notre pusillanimité.
Certains esprits trop formalistes objecteront sans doute que c’était il y a longtemps déjà, que ces grands personnages ne savaient pas ce qu’ils faisaient, qu’il y a prescription, etc. Mais, si
le tabac est bien devenu une figure du Mal absolu dont l’usage est assimilé au fait de commettre un crime ( «Fumer tue», comme il est écrit à des dizaines de millions d’exemplaires sur les
paquets de cigarettes), il est nécessaire de revenir aussi sur la tolérance coupable dont il a bénéficié dans le passé. Le fumeur d’hier comme le fumeur d’aujourd’hui transgresse le seul sacré
que nous soyons désormais capables de reconnaître, le culte du corps, de sa santé, de sa longévité, sur lequel s’est finalement rabattu le désir d’éternité. Il faut être d’autant plus impitoyable
à l’égard de ceux et de celles qui apparemment ne communient pas dans la célébration de ces valeurs que chacun sent bien, au fond, que cette royauté du corps est éphémère, et que toutes les
précautions du monde n’assureront pas l’immortalité. Mais, à défaut de pouvoir gagner contre la mort, on peut au moins stigmatiser ceux et celles qui vendent la mèche en donnant à voir à travers
leur comportement irresponsable que c’est bien vers cette direction commune que nous allons tous.
Si donc on déclenche la guerre au tabac, il faut faire preuve d’assez de cohérence pour aller jusqu’au bout de sa logique et y voir un des derniers épisodes à ce jour de la bataille séculaire que le Bien livre au Mal et qui l’apparente à l’esprit de croisade. On aura compris que c’est ce que j’ai essayé de faire ici, certes en forçant un peu le trait. Je ne me vante pas de mon état de fumeur non repenti, je conseille à tout un chacun de s’abstenir de fumer, et je m’associerais même volontiers à des campagnes honnêtes visant à dissuader la perpétuation de pratiques effectivement dangereuses pour la santé. Mais en laissant à chacun la liberté de choisir. J’ai par contre plus que de la réticence à l’égard de ce mélange d’autoritarisme bien-pensant, de suffisance pseudo-savante et de bonne conscience sécuritaire qui caractérise souvent les ayatollahs de la santé.
Ce n’est d’ailleurs pas seulement de tabac et de santé qu’il s’agit : gardons-nous de ceux qui choisissent notre bien à notre place et pour nous, et
qui l’imposent par tous les moyens en ne doutant jamais d’avoir raison. L’interdit du tabac n’est pas la dernière des prohibitions que l’on nous
prépare.
Robert Castel publié dans la rubrique Rebonds de Libération.
Extrait du site du Dr Gernez, chapitre consacré à la maladie d'Alzheimer :
* Facteurs de protection
Contre toute attente et contre l’orientation actuelle, les principaux facteurs de protection sont le tabagisme et l’alcoolisme alimentaire.
* Le tabac réduit la morbidité alzheimérienne de 20 %.
Sa nocivité reconnue dans le domaine pulmonaire et cardio-vasculaire légitime la campagne d’éradication actuelle, mais son effet protecteur contre l’Alzheimer est statistiquement établi et incontestable. Certes, il est paradoxal et déconcertant que le même facteur puisse avoir un effet inverse dans des maladies de caractère dégénératif.
La raison en est que leur métabolisme cellulaire est aussi contraire. Alors que les cellules dysplasiques ou cancéreuses s’accommodent ou même bénéficient d’une hypoxie en raison de leur métabolisme fermentatif, la cellule nerveuse ne résiste pas au manque d’oxygène.
La population cérébrale représente 2 % du poids du corps et consomme à elle seule 20 % de l’oxygène véhiculé par le sang. La vie de ces neurones est subordonnée à cet oxygène et trois minutes d’anoxie suffisent à leur créer des lésions irréversibles.
Or, la division des neuroblastes exige dix fois plus.
L’intoxication oxycarbonnée tabagique, légère mais rémanente, réduit l’oxygénation sanguine et, ce faisant, freine la cinétique divisionnelle des neuroblastes dont elle retarde ainsi le tarissement.
(Pour la même raison, le fumeur bénéficie d’un taux de protection de 50 % contre la maladie de Parkinson qui s’instaure quand les neurones nigriques sont réduits à 20 – 30 % de la normalité).
Ce facteur ne peut être négligé en raison de sa large assise sociale.
* L’alcoolisme alimentaire offre un taux de protection de l’ordre de 50 % variant de 41 à 72 % selon les statistiques.
On retrouve l’effet de l’oxygénation cellulaire : les graisses absorbées au cours d’un repas se retrouvent dans le sang (lipémie). Elles forment au niveau de la paroi interne des artères un film imperméable aux échanges gazeux qui réduit le transfert d’oxygène véhiculé par l’hémoglobine aux cellules irriguées par le sang. Persistant pendant des heures (8 à 10), l’asphyxie qu’induit cette imperméabilité altère les cellules les plus vulnérables à l’anoxie, les neurones, dont le remplacement mobilise la réserve blastique et en accélère le tarissement.
Rétablissant la perméabilité de la paroi vasculaire aux échanges gazeux en dissociant le film lipidique qui la tapisse au cours et après les repas, l’alcoolisme alimentaire supprime l’entrave à l’oxygénation cellulaire et réduit la cytolyse ainsi que le recours à la réserve blastique.
[ Note : Par « alcoolisme alimentaire » le docteur André Gernez entend l’habitude de boire modérément du vin pendant les repas. Il ne s’agit pas de la prise d’alcool fort, en particulier en dehors des repas, et encore moins de l’alcoolisme au sens ordinaire du mot. ]